samedi 23 mai 2015

Epreuve d'institutions administratives mai 2015 : donner encore une opinion !?

A la découverte de leur note, les étudiants sont souvent surpris par le décalage entre ce qu'ils ont cru bien faire et ce qu'il fallait faire pour passer l'épreuve avec succès. Pourtant, pour la première fois cette année, je mettais en garde face à l'apparente simplicité des questions posées. Le sujet paraissait très abordable à condition de réfléchir avant de se lancer dans les réponses. D'ailleurs, la moyenne des notes de la promotion mancelle est légèrement meilleure que celle des années précédentes...

Il était écrit : "Après réflexion, répondez aux questions ci dessous:"


Commençons par la question justement perçue comme la plus facile, la 3ème :

"Combien de temps dure le mandat d'un conseiller municipal ?".

Evidemment, sans réfléchir on aurait tendance à répondre : six ans ! Sauf que tout l'intérêt de mon cours est de montrer que rien n'est si simple dans les institutions. En réalité, les règles étudiées démontrent qu'en pratique, pour beaucoup de conseillers municipaux, le mandat ne dure pas six ans.
Le mode de scrutin qui a élargi aux communes de 1000 habitants la règle de la proportionnelle et du scrutin de liste fait que tous les conseillers ne sont pas élus dès les élections municipales, mais restent en réserve sur les listes, pour remplacer les sièges devenant vacants en cours de mandature. Dans les plus petites communes, on peut fonctionner avec des sièges vacants et n'organiser des élections de remplacement qu'au delà d'un certain nombre de conseillers manquants. Ah tiens, on peut donc ne pas faire un mandat complet de six ans ?! Et oui, c'est le cas de beaucoup de personnes. Il fallait mentionner tous les cas de fin anticipée du mandat : annulation de l'élection, incompatibilité, non cumul, perte du mandat par condamnation judiciaire, démission volontaire, décès etc... Tout cela a été vu en cours.
Ne pas oublier aussi que la durée du mandat dépend des lois électorales qui peuvent varier avec les humeurs du Parlement : ne pas traumatiser les français avec des élections rapprochées ? En 2015 nous sommes bien placés pour savoir que le calendrier électoral peut bouger, puisque certains Conseillers départementaux ont achevé un mandat de 7 ans et d'autres de 4 ans, et qu'en décembre, les conseillers régionaux sortiront d'un mandat de 5,5 ans ! Se souvenir aussi que la mandature municipale a duré 7 ans entre 2001 et 2008.

Bref, l'étudiant qui se contente de répondre :"6 ans" montre sa totale absence de réflexion, le manque de profondeur de ses connaissances, et sa précipitation à répondre, comme si nous étions dans un jeu TV. Pour autant, sa réponse n'étant pas fausse, il atteindra tout juste la moyenne des points disponibles pour cette question. Mais, attention, si pour meubler, il a digressé loin du sujet en énonçant de grosses sottises, alors il perd des points. Il vaut mieux se taire que de dire des énormités !


Les deux autres questions étaient un peu plus sujettes à débat, et il sera tentant pour expliquer sa mauvaise note à son entourage, de dire "le prof a des idées bien arrêtées et si on ne va pas dans son sens on se fait saquer... " Sacquey dites-vous ? Là faut pas me la contée mes petits amis !
Il ne s'agissait pas de juger les copies sur des opinions personnelles émises. La matière est une matière technique. Nous ne formons pas des politiciens, des psychologues ou des philosophes, mais des techniciens du droit. Ainsi, j'attends des réponses argumentées sur des faits et des chiffres qui sont donnés dans le cours mais vérifiables partout. L'étudiant peut ainsi parler des opinions admises par les spécialistes du sujet, sans se mouiller lui-même. Nous ne sommes pas dans une discipline de science exacte qui impliquerait un résultat véridique incontestable.

Alors la question sur les "communes nouvelles" était-elle polémique ? Non :

"Faut-il créer des "communes nouvelles" permises par la loi du 16 décembre 2010 ?"

les guillemets entourant volontairement l'expression "communes nouvelles" étaient destinés à alerter sur le fait qu'il s'agissait d'une expression consacrée par le législateur, les mots étant dans un ordre bien précis. Une commune nouvelle, n'est pas une nouvelle commune ! C'est tout le contraire d'une commune supplémentaire, puisque la loi organise ainsi une nouvelle forme de "fusion" de communes.
La question était donc faut-il créer des communes fusionnées sous le régime de la loi de 2010 pour en réduire le nombre ?
Il fallait se demander pourquoi cette question se pose ? Les chiffres sont éloquents ; le nombre moyen d'habitants par commune française est de 1600 alors qu'il est de 5000 en Europe ! La France concentre à elle seule 40% du nombre des communes sur les 28 pays de l'Union Européenne !!! Il ne s'agit pas d'une opinion mais d'un constat. Chacun sait que ces communes doivent employer du personnel, toutes pour faire les mêmes tâches administratives ou matérielles, cela coute cher. Ne serait-il pas judicieux d'opérer des regroupements et d'économiser du temps de travail et du matériel ? On peut penser que non pour différentes raisons souvent entendues de préservation des spécificités communales, mais ce n'est pas là dessus qu'il faut perdre du temps dans la copie à essayer de me convaincre que la vie est plus belle quand il y a une mairie à moins de 2 km de chez soi et non pas à 8 km, à l'heure où presque tout le monde conduit et où les moyens de communication sont plus que foisonnants...
Il y a des faits constatables et chiffrés, tous les pays européens avaient autrefois eux aussi beaucoup de communes, et ils en ont considérablement réduit le nombre. La France avait décidé d'inciter aux mêmes fusions (loi Marcellin de 1971) mais ce fut un échec avec seulement 900 fusions réalisées concernant environ 2200 communes. La Belgique a divisé par 4 le nombre de ses communes.
L'étudiant qui a du temps peut écrire que le modèle français est meilleur, cela ne me gène pas, mais aujourd'hui le constat est là : l'Etat coupe les robinets financiers des communes.

Donc au-delà de la pensée personnelle sur le sujet, il faut être pragmatique. La loi de 2010 n'oblige pas, elle facilite et incite. Il fallait donc comparer le régime de cette fusion avec celui antérieur de la loi Marcellin. Est-il plus facile de fusionner désormais ? Est-ce plus intéressant ? On attend des réponses techniques. il fallait expliquer les quatre modalités de création en insistant sur l'idée que l'on peut désormais contourner l'obstacle de certains conseils municipaux récalcitrants, grâce à l'effet des communautés de communes qui peuvent servir d'espace privilégié de création des communes nouvelles, en se transformant en des communes nouvelles à la majorité qualifiée.
Certes la fusion peut ne concerner que deux communes, mais la commune nouvelle permet beaucoup plus. Et cela intéresse des élus parce que l'Etat met en place de fortes incitations financières. Tout cela était dit dans le cours, et il y a énormément d'articles locaux et nationaux sur le sujet.
Enfin, ne pas oublier de dire que l'on peut conserver des communes déléguées avec des maires délégués et même des conseillers des anciennes communes dans un organe de consultation.

exemple de vifs débats dans le Sud Sarthe

En cours, nous avons évoqué le cas de Villeneuve-en-Perseigne, au nord de la Sarthe, en disant aussi que pour le moment très peu de communes s'engagent dans le processus, seulement 70 communes en France début 2015. C'est donc qu'à la question posée, il y a plusieurs réponses possibles, ceux qui pensent qu'il faut en créer, mais c'est évidemment à chaque fois selon les communes concernées, et puis il y a les autres, sans doute moins gestionnaires et plus sentimentaux.


La dernière question pouvait un peu désarçonner parce qu'elle incitait à parler d'autre chose que du simple libellé :

"Les préfets de Région sont-ils trop nombreux ?"

Il est impossible de répondre à cette question sans expliquer le rôle précis d'un préfet de région. Ici, beaucoup d'étudiants n'ont pas relaté la spécificité de la fonction par rapport à celle de préfet de département, et ont mélangé les deux, grave erreur. Si le préfet de région n'a pas de spécificité alors il ne sert à rien puisqu'il y a déjà des préfets dans chaque département. Mais justement, le cours insiste sur les spécificités de la préfecture de Région, la coordination et la planification de l'aménagement socio économique du territoire ! On se fiche bien des questions d'ordre public et de sécurité, qui sont gérées au niveau départemental (hors sujet). Il est évident que la réponse à la question doit être que les préfets de région ont un rôle essentiel, pas eux seulement, il faut aussi parler des services régionaux de l'Etat qu'ils dirigent.
D'un autre côté, il ne fallait pas oublier l'actualité brulante de l'année 2015 ! Nous allons perdre 9 préfectures de Région au 1er janvier 2016, puisque le nombre de Conseils régionaux a été réduit pour passer de 22 à 13. Il fallait parler de ces chiffres. Le Gouvernement a besoin de moins de services déconcentrés (expliquer au passage la notion) par le phénomène continu de RGPP devenu Modernisation de l'action publique, qui accompagne la réduction souhaitée du nombre des collectivités locales (que les préfets et services de l'Etat passent beaucoup de temps à contrôler et assister).
Je n'attendais pas un débat d'opinion sur le nombre des régions, juste que l'étudiant sache faire des passerelles intellectuelles entre des sujets qui sont étroitement liés.